Qu’est-ce que la démographie?

 

La démographie est l’étude scientifique des populations. Elle s’intéresse au dénombrement des individus et à la dynamique des populations, façon dont les populations évoluent sous l’effet du jeu combiné de la fécondité, de la mortalité et de la migration. Comprendre cette dynamique est un prérequis pour construire des prévisions sur la taille et la structure de la population future, nécessaire à la planification politique et économique. Les études démographiques cherchent à comprendre comment les populations évoluent et à mesurer les différentes composantes de ces changements. Le champ plus large des études de population recouvre des questions sur les raisons de ces évolutions et sur leurs conséquences et rassemble un large éventail de recherches multidisciplinaires sur les caractéristiques et les comportements des différents groupes de populations. Une grande part des travaux des démographes et des spécialistes des populations porte sur les interactions entre les évolutions démographiques et les politiques. Ces champs de recherche sont donc loin d’être purement académiques.

 

La dynamique des populations

 

Toute population comprend ceux qui y sont entrés et ceux qui n’en sont pas encore sortis. Quand on considère la population entière d’une zone géographique déterminée, les seules entrées sont les naissances et les immigrants et les seules sorties les décès et les émigrants. Parmi les trois facteurs démographiques qui déterminent la taille, la structure et la croissance de la population, la fécondité (c’est à dire la capacité de procréation d’un individu, d’un couple ou d’une population) a, dans le passé, joué un rôle beaucoup plus important que la mortalité (les décès) ou la migration (changement de résidence permanent ou semi-permanent). Chaque naissance n’ajoute pas seulement une unité à la cohorte actuelle d’enfants mais contribue potentiellement à la croissance exponentielle de la taille des futures générations. Un décès n’est pas porteur du même potentiel pour l’avenir mais dans les populations à faible mortalité avec des structures âgées la baisse de la mortalité est désormais le principal moteur du vieillissement de la population. Le troisième facteur, la migration, n’est généralement pas d’une ampleur suffisante pour peser significativement sur la plupart des dynamiques nationales de population, sauf exceptions, en particulier quand le mouvement naturel est proche de zéro ou lors de grandes vagues migratoires vers des régions peu peuplées. Pour des raisons sociales et biologiques, fécondité, mortalité et migration interagissent entre elles. La baisse de la mortalité aux âges reproductifs peut par exemple favoriser l’augmentation des naissances. La chute de la fécondité dans des populations où la grossesse, l’accouchement et la première enfance sont soumis à de forts risques, entraînera une diminution des décès maternels et infantiles. La migration joue sur d’autres paramètres démographiques car les migrants diffèrent de la population générale. Les migrants internationaux volontaires sont généralement jeunes et en bonne santé et se déplacent souvent de régions à forte fécondité vers des régions à faible fécondité. Les immigrants contribuent ainsi à un rajeunissement (temporaire) de la population d’accueil et ont, au moins à leur arrivée une fécondité plus élevée et une mortalité plus basse.

 

Croissance de la population

 

Les variations de la taille d’une population dues à l’excédent ou au déficit des naissances sur les décès sont appelées mouvement naturel. Si la migration nette (différence entre les immigrations et les émigrations) est nulle, seul le mouvement naturel intervient dans le calcul du taux de croissance de la population (variation totale annuelle divisée par la taille de la population). Le nombre de naissances est fonction du nombre de mères potentielles, auquel l’immigration peut contribuer, et des comportements de fécondité. Les structures d’âge jeunes de nombreuses populations dans les régions les plus pauvres représentent un énorme potentiel de croissance interne.

 

Données et mesures démographiques

 

Toute analyse démographique demande à la fois des données sur le « stock » de population et sur les « flux » d’entrée et de sortie, à savoir les naissances, les décès et les migrations. Les sources de données traditionnelles sont les recensements de la population pour le stock et les systèmes d’état-civil (enregistrement de routine des naissances et des décès). Bien qu’étant en premier lieu un outil de dénombrement de la population, les recensements peuvent aussi servir à estimer les événements vitaux. De nombreux pays utilisent ainsi les recensements pour récupérer des données sur les migrations grâce à des questions sur le lieu de résidence antérieure ou sur le lieu de naissance. Grâce aux techniques d’estimation indirecte mises au point par les démographes, les questions sur le nombre d’enfants déjà nés et le nombre d’enfants décédés, sur les décès des conjoints ou des parents permettent d’estimer les niveaux et tendances de la mortalité en utilisant à la fois les recensements et les enquêtes dans des pays où le système d’état civil est déficient [voir les Outils pour l’estimation démographique]. Un recensement est une opération coûteuse qui demande une infrastructure administrative solide et la coopération de la population à dénombrer. Au 21e siècle, pour répondre à une demande d’information de la part des gouvernements de plus en plus complexe et à l’accroissement des difficultés de recueil de données exhaustives, certains pays recourent à des solutions alternatives.

 

La plupart des pays à revenu élevé possèdent des systèmes d’état civil solides, avec une couverture des événements quasi-complète. Dans les régions les plus pauvres du monde, ces systèmes d’enregistrement sont souvent largement incomplets ou même non existants : on estime à seulement un tiers du total les décès enregistrés et déclarés à l’Organisation mondiale de la santé mais si l’on considère que les systèmes d’enregistrement par échantillon indien et chinois sont suffisamment représentatifs de la population totale de ces pays, cette proportion atteint près des trois quarts.

 

Dans beaucoup de pays, un ensemble d’enquêtes fournit une information plus détaillée sur les comportements de santé ou les stratégies de formation de la famille par exemple, information qu’il serait impossible de recueillir dans un recensement. Dans les pays les plus pauvres, où les sources de données sont rares, les enquêtes sont souvent la meilleure source sur des paramètres démographiques de base. L’enquête mondiale fécondité (EMF) , un programme international de recherche sur la population lancé en 1972 pour estimer les niveaux de fécondité dans le monde, et son successeur le programme d’Enquête de démographie et de santé (EDS) ont été une riche source de données démographiques et de santé pour nombre de pays pauvres.

 

Les études démographiques reposent sur un matériel brut qui touche aux expériences les plus personnelles d’un individu : activité sexuelle, formation de la famille, contrôle des naissances, reproduction, rupture conjugale, maladie et mort. Tous ces événements se produisent dans un cadre social qui valorise certains comportements et en stigmatise d’autres. Il n’est donc pas surprenant que les répondants aux recensements ou aux enquêtes soient quelquefois réticents à révéler une grossesse hors mariage, un avortement illégal ou une migration sans papiers. Certains gouvernements ont quelquefois aussi pratiqué la politique du secret, dissimulant ou manipulant les données démographiques. Par ailleurs, les imprécisions de déclaration des individus sur leur âge ou d’autres caractéristiques de base, les souvenirs incertains d’événements anciens et le large champ des erreurs administratives doivent aussi être pris en compte. L’obsession permanente du démographe quant à la qualité des données est ainsi bien compréhensible.

 

L’ analyse des données démographiques

 

L’analyse démographique repose sur une gamme standard de techniques et mesures. Ces mesures et la façon de les utiliser sont disponibles en ligne dans des modules de formation proposés par l’UNFPA et l’UIESP, ainsi que dans de nombreux manuels. L’analyse ne consiste pas seulement dans l’application d’une technique particulière, mais intervient aussi dans le choix des unités d’analyse et la façon de les regrouper. Une distinction majeure doit être faite entre l’analyse du moment et l’analyse par génération. L’analyse du moment (dite aussi transversale) s’intéresse à des événements survenus sur une période de temps donnée (par exemple des taux de mortalité pour les années 2005-2010) alors que l’analyse par génération (dite aussi longitudinale) suit l’expérience d’individus au cours du temps. Les générations (ou cohortes) sont définies comme un groupe de personnes ayant vécu le même événement marquant au même moment. Ainsi une génération de naissances regroupe les personnes nées la même année ou dans le même groupe d’années. La génération et la période sont deux des dimensions qui permettent de repérer un individu dans le temps, la troisième dimension étant l’âge. Les effets de durée (comme la durée du mariage, la proximité de la mort ou la durée d’exposition à un agent pathogène) peuvent aussi être importants.

 

Projections de population

 

Les projections de population sont un des produits de l’analyse démographique les plus couramment utilisés. À strictement parler, une projection est simplement le résultat issu de l’application de différentes hypothèses portant sur l’avenir de la fécondité, de la mortalité et des migrations et diffère donc d’une prévision qui a un caractère prédictif. Toutefois, les projections sont souvent considérées comme des prévisions et le degré d’incertitude qui les accompagne n’est pas toujours suffisamment reconnu, bien que le développement de projections probabilistes, comme les projections les plus récentes des Nations Unies, permette de mieux faire ressortir cette incertitude. La méthode la plus habituelle de projection est la méthode des composantes. Des hypothèses sont formulées sur les trois composantes des changements, naissances, décès et migrations, et appliquées aux populations de départ par âge et sexe pour obtenir une projection de la taille et de la structure à venir. Dans une large mesure, ces hypothèses s’appuient sur les tendances récentes tout en tenant compte d’autres informations disponibles, par exemple des données d’enquête sur les intentions de fécondité ou des modèles d’évolution de certaines causes de décès.

 

Population – une question primordiale pour le 21e siècle

 

La taille, la croissance et la structure d’une population dépendent des variations des comportements démographiques et pèsent lourdement sur sa santé et son bien-être. Alors que certains pays doivent répondre aux besoins générés par la croissance rapide de leur population, tels que des services de santé infantile, des écoles et parfois aux conséquences néfastes sur l’environnement, d’autres font face aux défis posés par le vieillissement de leur population et, dans certains cas, à sa diminution. Les migrations, y compris les déplacements de population dus aux conflits ou aux persécutions, doivent être gérées aussi bien au niveau du pays d’origine que de celui de destination. Des questions, telles que le changement climatique, la mondialisation économique et culturelle, les relations de genre et l’inégalité sociale interagissent avec les profils et les processus démographiques, donnant une importance grandissante aux travaux des démographes et des spécialistes de la population.

 

Emily Grundy 2014

 

Note : Cet article est tiré pour partie d'un chapitre qu'Emily Grundy and Michael Murphy ont écrit pour le manuel Oxford Textbook of Global Public Health (6 ed.), sous la direction de Roger Detels, Martin Gulliford, Quarraisha Abdool Karim, et Chorh Chuan Tan, Oxford University Press (2015) 3, 718-735.