Jim Vaupel a été une figure de proue de la recherche démographique à travers le monde entier dans le domaine de la mortalité et de la longévité. C’était tout à la fois un novateur, un fondateur, un leader charismatique. C’était aussi un homme de conviction, un enseignant captivant, un chercheur passionné et toujours plein d’idées neuves qu’il n’avait de cesse de partager. Il a communiqué son amour de la démographie à des générations d’étudiants et de jeunes chercheurs de toutes disciplines avec une prédilection pour la « formal demography », autrement dit l’analyse démographique à la française, qu’il appelait the champagne of demography..

 

Né à New-York en 1945, il avait d’abord entrepris à Harvard des études de statistique mathématique puis de commerce pour finalement soutenir une thèse en politiques publiques. Mais au milieu des année 1970, choqué par la mort coup sur coup de trois de ses proches parents encore relativement jeunes, il s’était lancé dans l’étude de la mortalité et plus généralement de la démographie. Et c’est dans ce domaine qu’il avait entamé une brillante carrière d’enseignement et de recherche à l’University of Minnesota puis à Duke University. Il livre alors les résultats de travaux remarqués dans le domaine de la survie et du vieillissement, au premier rang desquels The impact of heterogeneity in individual frailty on the dynamics of mortalitypublié en 1979 avec Kenneth Manton et Eric Stallard. Jim Vaupel fut aussi longtemps un membre de l'International Institute for Applied Systems Analysis (IIASA) à Laxenburg en Autriche.


Nul doute que ce cursus singulier a pesé sur le choix fait en 1996 par les dirigeants de la Société Max-Planck qui étaient à la recherche d’une personne capable de créer et diriger, à Rostock, un nouvel institut de recherche dédié à la démographie : le Max Planck Institute for Demographic Research (MPIDR). Ils ne se sont pas trompés ! Parti de rien dans cette ville alors peu attractive, Jim Vaupel a su créer ce qui est très vite devenu un joyau de la recherche démographique européenne… au risque de porter ombrage à l’Ined. Mais il a justement su aussi éviter cet écueil comme le prouvent les multiples et enrichissants échanges qu’il n’a eu de cesse d’initier et d’entretenir.

 

Jim Vaupel s’est aussi appuyé sur cette réussite pour créer Demographic Research la première revue “open-access” de la discipline et lancer nombre d’initiatives en faveur de la formation et de l’initiation à la recherche des jeunes générations comme la European Doctoral School for Demography, le Max Planck Research Network on Aging, ainsi que pour la sensibilisation des décideurs européens comme le réseau Population Europe.

 

Rien de tout cela ne l’a empêché de poursuivre son enseignement très apprécié à Duke ni de construire au Danemark, son pays de résidence, de solides liens avec l’University of Southern Denmark où, après avoir dirigé le MPIDR pendant 20 ans, il continuera son effort inlassable de recherche et d’enseignement comme Professor of Social Sciences, Health Sciences and Natural Sciences et comme directeur de l’Interdisciplinary Centre on Population Dynamics. Tout récemment encore il y dirigeait une des chaires internationales du Fonds Axa pour la recherche et il venait de remporter un advanced grant de l’European Research Council.


Entré à l’Union internationale pour l’étude scientifique de la population au début des années 1980, Jim Vaupel y a aussi été très actif. Outre sa présence assidue et toujours remarquée aux aux grands Congrès internationaux de population, il a animé de 2009 à 2012 le Comité sur les « Déterminants sociaux et biologiques de la longévité » et organisé deux Ateliers qui ont fait date : le premier en 2010 sur « La révolution de l'espérance de vie » et le second, très original, sur « L'hypothèse b et l'âge modal au décès » en 2011. Il a aussi fait bénéficier l’Union de son souci constant de transmettre aux plus jeunes en co-organisant trois Écoles d’été de l’Union : en 2005 sur « Limites de la recherche démographique en matière de mortalité et de longévité », en 2007 sur « La démographie mathématique et ses applications aux espèces humaines et non humaines » et en 2009 sur « Les frontières de l’analyse démographique ».

 

Jim Vaupel a constamment cherché à croiser démographie et biologie, contribuant largement au développement de la biodémographie dans le champ de la mortalité. Il s’intéressait tout particulièrement aux liens entre évolution et démographie. Il a été à l’origine d’un nouveau champ de recherche, l’evolutionary demography, cherchant à mieux comprendre les mécanismes de la sénescence.

Jim se voyait lui-même comme une sorte de « mathematical biologist ». Il était passionné par l’idée que la durée de la vie humaine n’a pas de limite assignable tant elle est douée d’une plasticité multifactorielle. Et c’est pour tenter de comprendre ce phénomène qu’il a tant donné pour rassembler un maximum d’information sur l’émergence des supercentenaires (personnes vivant plus de 110 ans), émergence qu’il avait été le premier à mettre en évidence. Une recherche à laquelle l’Ined a été fortement associé dès le départ et qui a donné lieu au développement de l’International Database on Longevity (IDL).

 

La disparition brutale de Jim est un grand choc pour tous ceux qui l’ont connu de près ou même de loin. C’est une grande perte pour la science.

 

Ses plus proches collègues se rappelleront longtemps sa vivacité d’esprit et son insatiable curiosité. Il bouillonnait d’idées qu’il ne gardait jamais pour lui seul. Il vous montrait en aparté une formule écrite sur un bout de papier comme on montre un bijou inestimable.

 

Nous imaginons la douleur de son épouse, Bodil, et de ses filles Anna et Sofie auxquelles nous faisons part de notre amicale compassion.

 

Carlo-Giovanni Camarda, France Meslé, Jean-Marie Robine, Jacques Vallin