Membre de l'Union depuis 1997, Véronique fut membre du Conseil 2010-2013.

 

Véronique Hertrich nous a quittés le 18 février 2019 après des années de lutte exemplaire contre la maladie.

 

Véronique, Directrice de recherche, avait 55 ans. Elle avait rejoint l’INED en 1992. Elle terminait alors sa thèse sur les Bwa du Mali, une population qu’elle allait suivre pendant plus d’un quart de siècle. Elle tirera de ses observations une analyse très fine des changements matrimoniaux et familiaux préludant à l’entrée dans la transition démographique. Dès 1996, elle publie Permanence et changements de l’Afrique rurale. Dynamiques familiales chez les Bwa du Mali , un ouvrage remarquable à la croisée des questions ethnologiques, démographiques, économiques et sociales.  Dans ce travail d’enquête au plus près, Véronique a toujours eu à cœur de restituer auprès des populations étudiées ses résultats scientifiques, allant jusqu’à organiser avec les villageois de petits sketchs de théâtre les impliquant. Autour des années 2000, elle a plus particulièrement étudié l’influence de la migration de travail des jeunes filles sur l’évolution de leurs comportements matrimoniaux et féconds et, ces dernières années, elle s’est surtout intéressée aux Dynamiques de la parentalité et de l’enfance en milieu rural africain .

 

2003. Chez les Bwa à la station Radio Parana, San.

 

 

Bien que très attachée à ce travail en profondeur sur une population particulière, Véronique a toujours eu aussi le souci d’observer la diversité des situations nationales et internationales. Elle a en particulier rassemblé une grande base de données panafricaines sur la nuptialité qui lui a permis nombre d’analyses sur les spécificités des comportements matrimoniaux en Afrique et leur évolution depuis 1950. C’est ainsi qu’elle publie en 2017 « Trends in Age at Marriage and the Onset of Fertility Transition in sub Saharan Africa », un article de Population and Development Review qui fait déjà référence. Ces données sont aujourd’hui intégrées à la World Marriage Database des Nations unies. Histoire de ne pas rester monomaniaque, Véronique a même fait un temps irruption dans la recherche sur les causes de décès en Russie et dans les pays baltes. Là aussi, elle nous laisse un précieux héritage.

 

 

2003. Avec la population d'un village Bwa

Dans tous ses travaux, Véronique Hertrich a toujours agi en bonne intelligence avec ses nombreux collègues des pays concernés. Elle s’est aussi constamment attachée à prendre en compte les questions de genre dont l’étude est essentielle à la compréhension des comportements démographiques. C’est pourquoi elle a participé, depuis sa création, aux activités de l’UR Démographie genre et sociétés. 


Parallèlement à son activité scientifique, Véronique Hertrich a constamment œuvré pour donner toute sa place à la recherche sur les pays du Sud au sein de l’INED.

 

 

 

 

 

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2003. Les villageois assistent à un sketch de restitution joué par des jeunes du village
esponsable de l’UR Population et développement de 2006 à 2008, elle crée, en 2009, le pôle méthodologique Pôle Suds, et organise dans ce cadre de nombreuses Journées scientifiques sur des thèmes variés confrontant souvent les expériences des pays du nord et des pays du sud, ainsi que plusieurs modules de formation. En 2015 elle obtient la refondation d’une unité de recherche dédiée à la démographie des populations du Sud, DemoSud, que, malgré la maladie qui l’atteint gravement, elle co-animera avec Géraldine Duthé jusqu’à la fin 2018.

 

 

 

 

 

 

 

2005. Au Congrès de Tours

Véronique Hertrich était une organisatrice hors pair. Son action au sein de l’UIESP en témoigne amplement. Avant même de devenir membre de l’Union elle avait déjà fortement contribué à valoriser ses travaux en co-dirigeant avec Thérèse Locoh « The onset of fertility transition in Sub-Saharan Africa », ouvrage collectif rassemblant et éditant une sélection des meilleures présentations soumises lors d’un séminaire de l’Union tenu à Harare en 1991 qui sans elles seraient sans doute tombées aux oubliettes. De 1998 à 2002 elle fut ensuite une très active membre du conseil du Comité national français de l’Union où elle s’est fortement engagée auprès de ceux qui militaient pour la tenue d’un congrès général en France. Elle fut alors tout naturellement désignée pour devenir en 2001 la coordinatrice du Comité national d’organisation du Congrès international de la population de 2005 dont elle fut la cheville ouvrière. Son dynamisme, son sens des contacts et son management énergique ont fait merveille. Elle a enquêté méthodiquement auprès des villes candidates pour faire le meilleur choix (ce fut Tours), mobilisé 1,5 millions d’euros auprès du Gouvernement français, de l’Union Européenne et d’autres donateurs publics et privés, négocié le meilleur usage du palais des congrès, organisé la traduction simultanée trilingue de toutes les séances, sans oublier un mémorable programme de festivités, et finalement accueilli de la meilleure façon 2200 participants, du jamais vu.

 

De l’avis de tous, ce congrès fut une prodigieuse réussite. Véronique en a ensuite géré les retombées scientifiques et médiatiques avec tout autant d’efficacité (avec notamment la production de deux DVD-rom et la publication d’un recueil d’articles de presse).

 

Sans surprise elle fut en 2009 brillamment élue au Conseil de l’Union. Elle a principalement œuvré durant son mandat (2010-2013) à encourager les recherches démographiques collaboratives, notamment en Afrique, à la défense du plurilinguisme et à la préparation du Congrès international de la population de 2013 à Busan.  

 

 

2011. Au congrès africain de Ouagadougou

En 2010, Véronique a souhaité soutenir plus concrètement les populations rurales maliennes qu’elle a côtoyées dans son travail de terrain en  contribuant au développement de la scolarisation et  en les aidant  à faire face à de graves crises alimentaires. Elle a alors créé l’association Bwatû2010, avec plusieurs collègues et amies qui lui a permis de conserver le contact avec les villageois alors que le contexte politique malien empêchait toute possibilité de se rendre sur place. Véronique avait été baptisée « Hairi » par une vieille femme du village de Sirao, ce qui signifie « bon cœur, bon esprit ». 

 

Véronique était une chercheure passionnée et talentueuse dont le travail a profondément rénové l’étude démographique des populations africaines. Elle a énormément contribué à l’animation de la recherche sur ces sujets aussi bien au sein de l’INED qu’au niveau international. Elle a parallèlement aussi beaucoup enseigné dans différentes universités et toujours eu à cœur de former des jeunes chercheurs. Mais Véronique pour nous était surtout une amie. Sa disparition prématurée laisse un vide qui n’est pas près d’être comblé. Nous partageons avec Roman, son fils, avec ses parents, son frère et sa sœur toute notre peine et souhaitons témoigner de la très grande admiration que nous portons à ses travaux et surtout à sa personnalité enthousiaste et généreuse.

 

Géraldine Duthé, France Meslé et Jacques Vallin

 

 

 

2011. Avec ses interprètes Abed et Céphas

 

N’hésitez pas à nous envoyer témoignages et anecdotes sur Véronique. Nous serons heureux de lui rendre hommage en les publiant ci-dessous. 


 

Ma fille Anastasiya et moi offrons nos condoléances à Roman ainsi qu’à sa Famille. Cher Roman, ta Mère t’adorait et était fière de Toi. Elle habitait parfois chez nous quand elle venait à Montréal. J’ai eu l’opportunité et le plaisir de passer de beaux moments avec elle à Paris et à Montréal. Une fois tu es d’ailleurs venu avec elle chez nous en revenant de New York... avec tes patins à roulettes! Véronique était une personne respectueuse, humaniste, intelligente et généreuse.  Je me souviendrai toujours de nos belles conversations fort animées autour d’un repas copieux bien arrosé. Son amour de la vie et son optimisme m’ont marquée. Elle m’a accompagnée durant des étapes cruciales de ma vie familiale et professionnelle. Je l’en remercie.  Que la Terre lui soit légère. 
Danièle Laliberté

 

I never had the opportunity to work closely with Véronique, but as an admirer of her work and her vibrant personality, I wanted to say a few words of remembrance. Her work on marriage and fertility in sub-Saharan Africa reflects her exceptional creativity, sensitivity, and keen intellect.  Her research findings significantly advanced our understanding of the profound changes occurring in this region and are a source of on-going inspiration to me and many others working on related topics. As a fan, I was delighted to finally meet her in Paris and accept her spontaneous invitation to have me over for dinner. I will always remember that evening fondly as I marvelled at her charm, warmth, and wisdom. Even while subsequently battling her illness, she showed her remarkable courage and commitment, helping to organize a terrific conference on African families at INED. Our field was fortunate to have such a lovely, talented, and generous scholar.

Shelley Clark (McGill University)



 Une démographie au cœur de l’humain…

J’avais choisi ce paradoxe d’une science dure au cœur de l’humain comme sujet d’une double conférence publique, organisée à Genève en 2014, à l’occasion de mon retrait de la vie académique formelle. Et j’avais naturellement sollicité l’intervention de Véronique qui avait brillamment relevé ce défi dans un exposé intitulé « Ces femmes qui nous interpellent. Questions de genre et de démographie au Mali », dans lequel, pour reprendre ses termes, elle ‘confrontait regards et analyses sur différentes pratiques qui mettent en jeu l’autonomie (ou la vulnérabilité) des femmes’. L’originalité et la finesse de son approche se sont en particulier exprimées dans ses travaux sur les migrations de travail des adolescentes, en rompant avec le discours dominant considérant ces jeunes filles comme des victimes. Une dizaine d’années après les premières observations de Véronique en pays Bwa, j’ai pu être témoin du même phénomène de départs clandestins des très jeunes filles au Sarnyéré Dogon. Comme dans les travaux pionniers de Véronique, le discours de ces jeunes filles n’était pas du tout celles de victimes, mais celles de jeunes filles qui, pour la première fois, découvraient le monde avec enthousiasme. A l’image de cet exemple qui m’a durablement marqué, les analyses de Véronique étaient particulièrement pertinentes, car ancrées dans une connaissance fine des réalités du vécu des gens. Elle était de ces générations de chercheurs pour lesquels le terrain était un passage obligé en l’absence de données, mais contrairement à nombre d’entre eux, elle a poursuivi ses enquêtes en pays Bwa sur le très long terme. Cette continuité sur laquelle se sont construits ses travaux, et qui font leur solidité, n’a pas signifié pour autant un enfermement. Elle a aussi su créer des ponts avec les grandes enquêtes nationales, les statistiques officielles et les programmes d’observatoires démographiques. Elle y a associé une série de collaborateurs tant maliens que français. Et lorsque, comme pour tous les chercheurs actifs au Mali, les problèmes de sécurité l’ont coupée de son terrain, elle a su trouver des solutions pour piloter les enquêtes à distance. 

Véronique, c’était aussi une collègue qui ne voyait pas les autres comme des concurrents, mais valorisait leur apport en leur ouvrant ses réseaux et en les associant à ses activités. C’est grâce à elle que j’ai, par exemple, entamé des collaborations avec l’équipe d’INSTAT au Mali et ai intégré DEMOSTAF. 

Tous ceux qui l’ont côtoyée ont été marqués par son énergie, parfois dictatoriale, mais si généreuse et chaleureuse. Une force de vie qui faisait que l’on ne pouvait pas croire que cette ultime bataille, elle n‘allait pas la gagner. J’avais prévu de lui rendre visite lors de mon prochain passage à Paris, ne pouvant suspecter qu’elle ne serait plus là. Véronique, ton sourire nous manque déjà.

 

 Claudine Sauvain-Dugerdil