Incertitude et complexité des migrations

Londres, Royaume Uni, 20–21 novembre 2018

  

L'atelier « Incertitude et complexité des migrations » s'est tenu à Londres du 20 au 21 novembre 2018 à la British Academy. Il était organisé dans le cadre du projet « Bayesian Agent-Based Population Studies » financé par le Conseil européen de la recherche (ERC), sous les auspices et avec le soutien de l'Union internationale pour l'étude scientifique des populations (UIESP), en collaboration avec le Comité scientifique de l'UIESP « Microsimulation et modèles multi-acteurs en démographie ». Un appui organisationnel précieux a été gracieusement fourni par le Centre for Population Change de l’Economic and Social Research Council (ESRC). La soirée publique du 20 novembre était organisée et parrainée par l’Université de Southampton.

 

L'atelier avait deux objectifs : le premier objectif était de rappeler les apports de la modélisation formelle face à la complexité et à l’incertitude des migrations, de présenter les travaux en cours et les perspectives de recherche dans le domaine ; le second objectif était de discuter des meilleures façons de modéliser les migrations, des orientations à prendre pour la collecte de données et des conditions nécessaires pour que ces résultats soient utiles aux   politiques. Au total, 36 participants, des universitaires aussi bien que des décideurs politiques, ont pris part à ces discussions. Après l'atelier, nous avons reçu énormément de commentaires positifs de la part des participants, tant sur l'organisation que sur le contenu scientifique. 

 

Ouverture de l'atelier

 

Jour 1

La première journée a débuté avec un exposé introductif de Jakub Bijak (Université de Southampton) sur « L’incertitude et la complexité des migrations et ses modèles », suivi d’une présentation sur « Données et connaissances pour la modélisation des migrations forcées » par Sarah Nurse (Southampton) avec Ann Singleton (Université de Bristol) pour discutante.

 

Les séances suivantes comprenaient des présentations sur « La modélisation des migrations », présenté par Martin Hinsch (Southampton) avec Eric Silverman (Université de Glasgow) pour discutant, « La prise de décision dans les modèles de migration », présenté par Toby Prike (Southampton) avec Frans Willekens (NIDI) pour discutant, et « Les langages informatiques pour simuler les migrations » par Oliver Reinhardt et Adelinde Uhrmacher (Université de Rostock), avec Sabine Zinn (Institut de Leibniz pour les trajectoires d’éducation) pour discutante.

 

La séance de la fin d’après-midi comprenait six présentations éclair (snapshot talks) portant sur les avancées récentes dans la modélisation des migrations et l’étude des décisions humaines, avec un éventail de conférenciers représentant différentes disciplines scientifiques : « Modélisation des migrations au cours de l'évolution des traits en biologie évolutionniste » par Rebecca Hoyle (Southampton) ; « L’identification des réfugiés dans des ensembles de données représentatifs au niveau national » par Sarah Miller (Penn State University) ; «L’estimation des flux migratoires au niveau local aux États-Unis » par Ernesto Amaral (Texas A & M University) ; « Les migrations européennes au Royaume-Uni à la lumière des données de Facebook » par Francesco Rampazzo (Southampton) ; « Microsimulations pour des projections démographiques multidimensionnelles en Europe » par Guillaume Marois (IIASA) ; et « Comment la composition du groupe affecte les décisions du groupe » par Martina Testori (Southampton). Les organisateurs regrettent que Fabien Sundjo (Consortium pour la recherche économique en Afrique) n’ait pas pu présenter sa communication sur « L’impact de l’afflux de réfugiés d’Afrique centrale au Cameroun », son visa britannique n’ayant pas été disponible à temps.

 

Au cours de la soirée, les participants ont participé à la conférence publique de l’Université de Southampton intitulée « Incertitude et complexité des migrations », qui consistait en une conversation entre Jon Simmons (Ministère de l'intérieur britannique) et Jakub Bijak, modérée par Charles Elder (Université de Southampton). Plus de cent personnes ont assisté à la conférence.

 

Conférence publique. (de gauche à droite: Charles Elder, Jakub Bijak et Jon Simmons)

 

Jour 2

Le deuxième jour, les travaux ont repris avec une table ronde organisée sous la règle de Chatham House, c’est-à-dire sans que les idées présentées par des individus leur soient attribuées nommément, ceci afin d’encourager un échange libre d’idées. Les débats étaient animés par Andreas Edel et Daniela Vono de Vilhena (Population Europe) et portaient sur deux sujets principaux : (1) les lacunes dans les connaissances sur les migrations et la manière de les combler, et (2) la création de modèles de simulation utiles pour les politiques. Sept participants issus du monde politique, de la fonction publique et du l’université ont pris part à la réunion : Ann Blake (Office for National Statistics), Nico Keilman (Université d'Oslo), Giampaolo Lanzieri (Eurostat), Petra Nahmias (HCR), Ann Singleton (Université de Bristol), Teddy Wilkin (Bureau européen d'appui pour l'asile) et Dominik Zenner (OIM - Organisation internationale pour les migrations). À tous, nos remerciements les plus sincères.

 

Participants au panel. (de gauche à droite: Nico Keilman, Ann Singleton, Giampaolo Lanzieri, Petra Nahmias, Dominik Zenner, Teddy Wilkin et Ann Blake)

 

Dans l'après-midi, les discussions se sont poursuivies au sein de deux groupes de discussion. Le premier, animé par Frans Willekens (NIDI), a porté sur les limites de la modélisation et de la prise de décision dans les études sur les migrations. Le second, animé par Jon Forster (Université de Southampton), a porté sur les données manquantes en matière de migrations. Les comptes rendus des ateliers et de la discussion générale qui a suivi ont également été tenus conformément à la règle de Chatham House. L'atelier s'est achevé avec un bref résumé général et une réflexion sur les deux journées de discussion.

 

Messages clés et conclusions

Les discussions tout au long de l'atelier ont abouti à un ensemble d'observations et de recommandations pour la future collecte de données sur les migrations et les efforts de modélisation.

 

Premièrement, il a été noté que les données sur les migrations ne sont pas neutres, car elles s’accompagnent de nombreux bagages sociaux et politiques. Ceux qui sont chargés de faire les analyses et les modèles doivent en être conscients et comprendre le contexte des données pour éviter une vision exclusivement centrée sur l'Occident alors que ces phénomènes sont par nature mondiaux. Par ailleurs, les modèles multi-acteurs impliquent de faire des jugements de valeur tranchés lors de la modélisation. Ces valeurs sociétales doivent donc être explicitées dans les modèles, de manière à préciser qui a défini la problématique de recherche et pourquoi.

 

Deuxièmement, la modélisation ne devrait pas viser à décrire les processus de migration avec précision, ce qui est impossible de toute façon, mais à identifier les lacunes dans les données et les connaissances. Il a été noté qu’il n’existait pas de modèle canonique pour un système de migration donné. Les simulations et les expériences cognitives doivent se situer dans le contexte d'une littérature plus vaste sur les migrations dans diverses disciplines. L'aspect informatique de la modélisation est fait de compromis entre les langages spécifiques à un domaine et les langages à usage général. Modularité, libre-accès, documentation transparente et pérennité sont les caractéristiques souhaitables pour tous ces modèles.

 

Troisièmement, dans un monde caractérisé par l'incertitude et la complexité, une communication ouverte est essentielle : il est indispensable que les idées et les concepts soient simples, bien définis et transparents, et que les utilisateurs de données et de modèles soient informés des limites de ces modèles. Dans les conversations et les débats sur les migrations, il est essentiel de créer des espaces pour des discussions ouvertes où l’on peut accepter des désaccords. De plus, comme pour tout ce qui concerne les données, c’est un argument supplémentaire en faveur du renforcement des connaissances en statistiques pour le grand public.

 

Quatrièmement, en particulier dans ces conditions d'incertitude et de complexité, il est encore plus nécessaire d'assurer la robustesse et d'adopter des approches holistiques en matière de politiques afin d'éviter des solutions simplistes qui risquent de ne pas fonctionner. Il faut également définir des normes et des exigences minimales que les producteurs et les utilisateurs peuvent raisonnablement attendre des données et des modèles.

 

Cinquièmement, la modélisation formelle peut aider à répondre à de nombreuses questions de fond. Peut-on prévoir les migrations même à l'horizon d'une année ? Quelle est la composition probable des flux migratoires ? Quels sont les itinéraires, les impacts politiques, les causes profondes, les interactions, les retours d'expérience ou les impacts sur les sociétés et l'intégration ? Les politiques migratoires sont-elles endogènes ou exogènes ? Comment les gens décident-ils de migrer ou non – et ces décisions sont-elles cognitives ou émotionnelles ? Quel est le rôle des tendances historiques ou des réseaux ? Dans quelle mesure d'autres acteurs sont-ils impliqués ? Ces diverses questions politiques serviront à orienter les approches en matière de collecte et de modélisation des données, avec des difficultés diverses quant à leur disponibilité et leur qualité.

 

Enfin, il existe actuellement des lacunes importantes dans les données sur les migrations et les flux d’informations qui leur sont associés : des problèmes liés au retard pris dans la mise à disposition des données sur les migrants, à la rareté des données sur certains migrants (notamment pour des études longitudinales). Le manque d'harmonisation et d'interopérabilité des données reste une préoccupation, et il y a parfois conflit entre l'harmonisation et les besoins pour les politiques. Le potentiel élevé des méthodes de collecte de données innovantes (par exemple, à partir de téléphones portables ou de médias sociaux) est contrebalancé par la confiance limitée du public dans les systèmes de collecte associés, les problèmes de confidentialité, notamment quand il s’agit d’apparier des données, etc. Les statistiques officielles doivent jouer un rôle important dans la garantie de normes éthiques et professionnelles élevées.

 

Tous ces aspects, et d’autres encore, devront être explorés dans un futur programme de recherche sur les migrations afin de contribuer efficacement à améliorer la préparation aux événements migratoires imprévus et favoriser des politiques migratoires fondées sur des données scientifiques.

 

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